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L’Église en perte d’attention ?

Avant toute chose, force est de constater que, durant ce dernier siècle, l’Église a perdu sa position d’organisatrice de la vie sociale. Progressivement, l’Europe est entrée dans une ère post-chrétienne. Fort heureusement, la foi chrétienne est toujours présente. Ses valeurs et son héritage impactent toujours notre quotidien mais plusieurs changements de paradygmes se sont produits. J’en souligne 4 : 

  • Le christianisme est passé du rang de système de valeur « unique » et « indiscutable » au rang d’un système parmi d’autres.
  • La spiritualité dans ses convictions et ses pratiques a tendance à se diluer au contact d’autres spiritualités.
  • D’unique activité sociale et rassembleuse, elle est devenue une activité parmi d’autres.
  • De vérité exclusive, le doute et les remises en questions pleuvent : À quoi cela sert-il de croire en Dieu ? Ne serait-ce pas juste une vue de l’esprit ? Et si un Dieu existait réellement, qu’est-ce qui me dit que le Dieu des chrétiens est le bon ?

Être chrétien ? C’est bien mais c’est dépassé !

En Europe, l’Église se retrouve noyée et banalisée au coeur d’une société qui a décidé de se passer de ses services. Les églises sont-elles condamnées à mourir pour autant ? Je ne crois pas. Je suis persuadé qu’elles peuvent toujours être pertinentes. 

Si on en revient à la définition que je donne du mot ekklesia-église dans le post : L’Église, une dynamique millénaire, je souligne que l’Église est appelée

  • par Dieu,
  • à prendre de la hauteur par rapport à la société environnante,
  • pour écouter Dieu,
  • pour échanger les uns avec les autres,
  • et pour retourner impacter la société.

 Ainsi, une communauté qui aspire à offrir ce mouvement sera toujours pertinente, où qu’elle se trouve et quoi qu’il se passe. 

L’Église au coeur de la bataille de l’attention

Il y aurait beaucoup de chose à dire à propos de notre société. Mais une chose m’a particulièrement interpelé alors que je lisais le livre la guerre des spectacles de Tony Reinke. L’auteur souligne que le monde dans lequel nous vivons est un vaste champ de bataille qui se concentre autour de l’attention. Sa thèse fait écho à ce passage de l’Ecclésiaste qui affirme :

Tout est en mouvement, plus qu’on ne peut le dire. L’œil ne sera jamais rassasié de voir et l’oreille ne sera jamais remplie au point de ne plus pouvoir écouter. – Ecclésiastes 1.8 (S21)

L’attention est une denrée rare

Dans son ouvrage T.Reinke explique que contrairement à Dieu qui aspire à capter notre attention pour notre bien-être, notre société tente de capter notre attention pour alimenter des objectifs économiques.

L’attention est la clé pour se faire remarquer et déclencher tout un cheminement dans la tête du spectateur. Un cheminement (Expérience client) qui a pour objectif final de rendre le client volontairement captif et dépendant d’un produit ou d’un service.

Pour atteindre cet objectif, tous les moyens sont bons, y compris ceux qui intègrent des techniques de manipulation. Il n’est, dès lors, pas étonnant de découvrir des mécanismes de dépendances néfastes pour les utilisateurs, consommateurs, clients et autres « bénéficiaires ».

Gagner l’attention : un choc éthique

Nous évoluons, bon gré mal gré, au sein de cette guerre économique dont nous sommes les cibles. Mais bien plus que d’en être victime, la foi chrétienne offre une perspective libératrice de ce conflit. Il s’agit d’une éthique chrétienne.

En effet, Dieu aspire à développer une relation au chrétien gratuite, sans engagement et totalement dirigée vers l’épanouissement du croyant. Dans cette gratuité, le croyant n’est pas le produit, mais à la fois le bénéficiaire et l’acteur du service. Sous l’angle économique, cette relation à l’humanité se veut totalement désintéressée.

Face à elle, la société considère chacun comme un client potentiel à qui soutirer quelque chose. Sa démarche est donc toujours intéressée. Même dans le cas de gratuité, les sociétés nous offrent une illusion. Nous devenons le produit duquel les entreprises peuvent soutirer des informations monnayables. Que leurs services soient payants ou gratuits, les acteurs économiques tentent de nous rendre dépendant de leurs services. Leur question clé est la suivante : Comment rendre le client incapable de se passer de nous pour s’assurer de juteux bénéfices.

Dans les deux cas, la personne est une perle de grande valeur. Mais un choix se dessine à nous, celui de l’esclavage au système qui nous exploite ou celui de la relation à Dieu qui investi en nous.

Entre ces deux systèmes de valeurs, il existe une zone grise où l’on retrouve à la fois des sociétés avec un sens de l’éthique poussé et des associations chrétiennes (églises et autres) qui appliquent ce système économique au détriment d’une certaine éthique.

 L’Église, pour une réponse pertinente

Dans ce flux d’informations, de sollicitations, de dépendances dorées, des gens se noient. Perdent pied. Se laissent submerger et perdent leurs repères. Désappointés, esseulés, ils ne savent plus ce qu’ils valent.

La valeur de chacun, nous enseigne la société, correspond à l’image qu’on donne de soi et à la popularité qui en découle. Les modèles à suivre sont présentés dans les médias et les techniques pour leur ressembler sont les produits et services mis en scène dans les publicités.

Ces modèles et autres exemples à suivre, sont mis en avant dans les médias (films, séries, influenceurs, publicités). Mais bien plus encore, chacun peu à la fois les imiter et se mettre en scène sur les réseaux sociaux. Nous devenons par là, à la fois le modèle à suivre et l’imitateur.

Dans cette même dynamique, la question se pose pour l’Église. Doit-elle mettre en scène sa définition de la perfection pour attirer l’attention et devenir un modèle à imiter ? Si oui, va-t-elle vendre des produits et des services garantissant de pouvoir atteindre cette même perfection ? Et si oui, poursuivront-elles ces objectifs à des fins économiques ou désintéressées… pour le bien-être réel de ses membres ?

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 La quête éphémère de la gloire

Dans son ouvrage Tony Reinke dit : « Nous sommes humains, donc programmés avec un appétit insatiable de voir la gloire. […] Le monde aspire cruellement à être émerveillé ». Et encore plus loin: « Dans un monde dominé par l’image plutôt que par la parole, la vie intérieure cédera la place au spectacle extérieur ».

Interpellant. Comme si l’esprit critique nous était enlevé, remplacé par une attitude spectatrice silencieuse. Si tout ce qui compte c’est l’attention et non l’esprit critique et donc le droit à la parole, alors les gens n’auront plus qu’à se laisser guider par le courant.. et l’Église avec elle.

Ainsi, une Église qui prend part à cette guerre de l’attention cherche à susciter des émotions brèves et éphémères. Mais des émotions qui donnent l’impression de vivre. Ces Églises, qui se placent dans le sens du vent, cherchent à développer des expériences belles et passionnantes.

Leur plus grand défi consistera à dépasser la superficialité de la foi de leurs membres pour annoncer un Évangile transformateur en plus de l’Évangile bienfaiteur.

Dans cette dynamique, ces Églises se place dans une vision concurrentielle sur le marché des loisirs et cherchent à attirer l’attention sur elle. Mais est-ce vraiment ce à quoi l’Église est appelée ?

J’en doute. En disant cela, je ne remet pas en cause le fait qu’il est nécessaire d’avoir des Églises pertinentes et en phase avec les attentes et les besoins des croyants. Ce en quoi je doute, c’est cette idée que l’Église doit diffuser une image parfaite en se plaçant en modèle de réussite, de sainteté, de gloire. En polissant son image, le danger est de transmettre un Évangile de façade. Et par conséquent foi de façade, dans la droite ligne de ce que la société nous enseigne : peu importe qui tu es, l’important c’est l’image que tu transmet.

Pour conclure

Rappelons-nous cette dynamique intentionnelle qui est le coeur de toute stratégie économique :

Soigner son image…

pour obtenir de l’attention…

pour gagner en gloire (être reconnu)…

afin d’augmenter ses profits.

Mais l’Église est-elle à la recherche de gloire, a-t-elle quelque chose à vendre ? Je ne crois pas. Voici cette même dynamique revisitée pour l’Église dans laquelle la personne est au coeur de ses actions.

Être soi-même, imparfait, humain…

pour se tenir aux côtés de ceux qui sont imparfaits, humains…

pour reconnaître leur valeur en tant que personne…

afin de leur offrir une transformation personnelle libératrice.

En introduction, j’ai rappelé que l’ekklesia est l’assemblée appelée hors de sa société. En agissant ainsi, l’Église, à la lumière des Évangiles, peut apposer un autre regard sur son environnement. Elle peut offrir un temps de répit aux croyants. Comme une bouffée d’oxygène hors du courant pour mettre en perspective son quotidien.

L’important n’est donc pas l‘attention qui m’est portée, mais sur qui je porte mon attention. 

Philippe Cavin - à propos

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